Afin de vous permettre d’y voir plus clair, nous vous proposons d’aborder avec vous les étapes les plus importantes à franchir, et, le cas échéant, les solutions à mettre en œuvre en fonction de votre situation propre.
[A] Votre entreprise a des liens directs avec la Russie et/ou l’Ukraine et vous vous interrogez sur la portée des sanctions adoptées
Si des liens contractuels directs vous lient de prés ou de loin à la Russie et/ou l’Ukraine, veillez en premier lieu à respecter les étapes suivantes :
1. Identifier vos cocontractants
En premier lieu, il convient d’identifier vos cocontractants et de vous assurer que vous disposez d’outils adéquats pour identifier et contrôler régulièrement celles-ci au regard des listes de sanctions applicables. Un véritable audit des risques doit donc être mené à cet égard. Il est ici conseillé de faire preuve d’une grande prudence et diligence car les sanctions visées peuvent s’appliquer aux entités contrôlées par les cibles des différentes sanctions ordonnées. Vous devez donc vous assurer que vous n’avez pas d’opérations commerciales avec l’entreprise cible des sanctions mais également, le cas échéant, avec les éventuelles entités liées à ladite entreprise.
2. Identifier la juridiction compétente,
la loi applicable ainsi que toutes les lois de police en vigueur
Il conviendra en second lieu d’identifier la juridiction compétente en cas de litige avec votre cocontractant ainsi que le droit applicable à votre contrat.
Déterminer la juridiction compétente ainsi que la loi applicable est essentiel, notamment pour déterminer les solutions concrètes à apporter à votre litige s’il s’avère que vous êtes effectivement concernés (voyez le point (3)).
Si aucune clause n’a été expressément convenue avec vos cocontractants à cet effet, il conviendra le cas échéant de s’en référer aux instruments et réglementations applicables.
- Attention toutefois si vous faites affaires avec une société russe, visée par les sanctions : suite à une nouvelle loi datée de juin 2020, tous les individus et entreprises ayant fait l’objet de sanctions peuvent en effet déférer leurs litiges à la juridiction exclusive des tribunaux étatiques russes. La prudence est donc de mise.
- Attention également aux lois dites « de police » (également appelées « lois d’application immédiate ») : en effet, même si l’exécution de votre contrat n’est pas illégale en vertu de la loi applicable à votre contrat, sachez que si des lois de police étrangères (à l’instar de celles imposant les sanctions susvisées) ont pour effet de rendre l’exécution de votre contrat illégal, celui-ci pourrait, à cette raison, ne pas être appliqué par les juridictions compétentes. Il ne faut donc pas s’arrêter au droit applicable à votre contrat, mais bien avoir égard à l’ensemble des normes de « police » en vigueur. La question étant hautement complexe, il est naturellement recommandé de faire preuve de diligence à cet égard.
3. Démarches à emprunter
3.1 Vérifier l’existence d’exemptions éventuelles
Si vous constatez à l’issue des vérifications requises que votre entreprise est directement ou indirectement concernée par les mesures de sanctions, la première des choses à vérifier est celle de savoir si votre contrat entre dans les exemptions autorisées. Cette vérification s’opère évidemment au cas par cas. À défaut d’y être admis, il faudra procéder comme indiqué au point 3.2.
3.2 Vérifier ce que prévoient les termes du contrat et le droit applicable
Si votre contrat n’entre pas dans les exemptions autorisées, et qu’il s’indique à cette raison de résilier votre contrat, il conviendra de respecter la lettre du contrat afin de ne pas vous exposer à des poursuites judiciaires éventuelles pour résolution fautive. Bien souvent, les clauses afférentes aux cas de résiliation sont rédigées de façon large et permettent de régler la question. Dans le cas contraire, il conviendra de vérifier ce que prévoit le droit applicable en la matière. En tous les cas, il vous est vivement conseillé de mettre un terme à vos contrats de façon respectueuse des principes juridiques en vigueur afin d’éviter tous risques en la matière.
Si votre contrat peut dans une certaine mesure continuer de recevoir application, veuillez en ce cas vous référer au point [B] ci-après.
[B] Votre entreprise est impactée par la situation et vous êtes dans l’impossibilité ou éprouvez des difficultés à exécuter vos obligations contractuelles
La situation géopolitique actuelle est susceptible de générer une série de problèmes divers et variés, pouvant affecter toutes entreprises quelles qu’elles soient, en ce étant compris celles qui n’opèrent pas directement en Russie et en Ukraine, d’où l’utilité de vérifier non seulement vos contrats mais également de vous renseigner auprès de chacun de vos fournisseurs afin de savoir si ces derniers sont ou non impactés.
Nous vous proposons dans ce cadre d’aborder avec vous les outils dont vous pouvez vous prévaloir (en sus des clauses contractuelles) selon que l’exécution de vos obligations contractuelles est devenue impossible (Hypothèse 1) ou trop « difficile » pour vous (Hypothèse 2).
Hypothèse 1
Vous n’êtes plus en mesure de respecter vos obligations contractuelles
Sous cette hypothèse, diverses situations peuvent se présenter : il se peut que vous vous soyez engagés à livrer des biens qui viennent de Russie ou d’Ukraine, et que, les usines russes/ukrainiennes vous soient désormais inaccessibles ou soient fermées à raison de la situation, que vous ayez été contraints de fermer votre usine belge in situ ou encore que vos cocontractants vous réclament à ces raisons des dommages et intérêts.
En ont-ils seulement le droit ?
En droit belge, une partie ne peut pas être tenue responsable de l’inexécution de ses obligations ou du retard dans l’exécution de ses obligations si cette inexécution ou ce retard est dû à un cas de « force majeure ». Le cas échéant, son cocontractant ne peut donc lui réclamer un quelconque dédommagement y subséquent.
A noter que la situation de force majeure est définie par la doctrine comme résultant d’un évènement survenu postérieurement à la conclusion de la convention rendant impossible (et non simplement plus onéreuse) l’exécution par le débiteur de son/ses obligation(s), indépendamment de toute faute de ce dernier.
Comment savoir si vous pouvez vous prévaloir de la force majeure ?
La majorité des contrats contiennent une clause dite de force majeure modulant et précisant l’étendue de la responsabilité des parties dans une telle situation. Il est donc vivement conseillé d’avoir égard à ces clauses, lesquelles précisent en général les démarches à mettre en œuvre.
À défaut de clause expresse, il conviendra de déterminer si la situation géopolitique actuelle (et le cas échéant, les mesures adoptées par les différentes instances gouvernementales) peu(ven)t être considéré(e)(s) comme un cas de force majeure au regard de votre propre situation. Il faudra donc ici démontrer un lien direct entre l’impossibilité d’exécuter vos obligations et l’évènement de force majeure (en l’occurrence, la situation géopolitique). Selon le caractère temporaire ou absolu de l’impossibilité d’exécution de vos obligations à raison de la force majeure, le contrat sera le cas échéant soit suspendu, soit résilié. Si vous n’êtes toutefois pas en mesure de démontrer ce lien direct, vous ne pourrez pas vous prévaloir de la force majeure, même en démontrant que l’exécution de vos obligations est devenue plus « difficile ». Dans ce cas, nous vous conseillons d’avoir égard à l’hypothèse n°2, dressée ci-après.
Hypothèse 2
Vous rencontrez des difficultés dans l’exercice de vos obligations contractuelles
Que pouvez-vous faire si vous n’êtes pas dans l’impossibilité d’exécuter vos obligations contractuelles, mais que vous éprouvez néanmoins des difficultés à raison de la situation actuelle et que vous ne pouvez pas vous permettre de résilier votre contrat?
Il faudra ici également avoir égard au contenu de votre contrat, lequel peut contenir des clauses dites de « hardship », aménageant ce type de situations, ou, éventuellement laisser application à la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises, laquelle reconnaît expressément la théorie de l’imprévision. Le cas échéant, il faudra donc s’y référer pour déterminer la marche à suivre.
A défaut de clause expresse en ce sens, il conviendra de vérifier ce que prévoit le droit applicable à votre contrat. La plupart des pays européens consacrent en effet l’imprévision au titre de principe général du droit et en permettent donc l’application, même en l’absence d’une clause expresse en ce sens.
Attention toutefois si votre contrat est soumis au droit belge : en effet, si le projet du livre V du nouveau Code civil belge prévoit la consécration de cette théorie, et que les tribunaux peuvent dans une certaine mesure y être sensibles, sachez toutefois que rien ne permet d’affirmer que cette théorie sera in fine consacrée, et que, pour l’instant, la Belgique ne reconnaît pas encore l’existence d’un tel principe général du droit de l’« imprévision ». L’on considère par conséquent en Belgique que l’accord des parties a toujours force de loi et que les parties sont tenues de continuer d’exécuter leurs obligations, même si celles-ci éprouvent des difficultés, et même si le contrat est soudainement devenu déséquilibré, par exemple à raison de l’inflation générée par la situation géopolitique ayant entraîné un surcout significatif particulier pour l’une des parties contractantes. À noter que des concepts juridiques annexes peuvent toutefois être invoqués, avec plus ou moins de succès selon votre cas (abus de droit, etc).
Étant aux confins de différentes matières complexes, et sur un terrain on ne peut plus glissant, nous ne pouvons que vous conseiller, dans la mesure où vous êtes concernés de près ou de loin par ces mesures, de faire preuve de diligence dans vos démarches.
Vous avez encore des questions à ce sujet ? N’hésitez pas dans ce cas à nous contacter (Arthur Lahousse & Kenza Mellouk), nous nous ferons un plaisir de vous assister.